lundi 27 février 2012

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« Tandis que chez les épileptiques tout se condense, se concentre, s’agglutine, chez les schizophrènes tout se désagrège, tout se dissocie, se disperse ».  …L’expression d'épileptique est directe, plus proche de la métaphore que du symbole. …La forme est souvent imprécise ; elle apparaît parfois comme manifestement subordonnée à la kinesthésie et au lien. On parle d’ « emprise du lien » lorsque celui-ci s’accompagne d’une mauvaise appréhension des formes ou des relations spatiales et logiques.  …Le schizophrène, lui, ne voyant pas, il arrive qu’il raconte. Ne voyant pas, il cherche ce qu’il sait. Ce savoir auquel il fait appel, privé de l’appui des images, devient lui-même stéréotypé, vague, incohérent.  ...ce qui est propre aux images du délirant, c'est leur caractère fuyant. Contrairement à la persévération (épileptique), il y a ici coupure dans la consistance de l’image, dans son enracinement, dans sa durée. Ce qui traduit l’inconsistance de la réalité elle-même, telle qu’elle est appréhendée et vécue par le délirant. Cette conviction absolue, qui rompt le dialogue et enferme le malade dans son monde, n’appartient pas à la vision en images, elle est manifestement d’une autre nature, et il y a même antithèse entre  les deux. {« La différence essentielle entre l’épileptique et le schizophrène, c’est que le premier est en proie à une conflictualité aiguë, paroxysmale, tandis que le second est au-delà du conflit, retraité dans sa position dévitalisée. » Martine Stassart, Le caractère paroxysmal} …L’image participe de la réalité, adhère à elle, n’est pas seulement un signe qui la représente, contrairement à la pensée abstraite qui, dans une large mesure, remplace l’appréhension directe par des symboles. Dans la participation de l’image au réel, il y a déjà lien ; et il en est de même pour le langage imagé. … Que la vision en images soit plus ou moins dominante selon le sujet, son rôle est tel qu’elle est utile, voir indispensable, même au développement et à la réalisation adéquate de la pensée abstraite, qui doit prendre au moins quelque appui sur elle. 
…L’épilepsie, loin d’être l’inventaire d’une série de troubles, se réfère à une structure mentale dont les manifestations peuvent être aussi très positives. La vision en images  en apporte justement l’une des meilleures preuves.  ...{« Le lien, de même que persévération, seraient une défense de l'épileptique contre les discontinuités critiques de sa conscience » L. Massignan, Epilepsie et Rorschach}.     …L’épileptoïde présente une «affectivité concentrée, condensée, ramassée, visqueuse, qui adhère aux objets de l’ambiance et ne s’en détache pas aussi facilement que l’exigent les variations du milieu, il ne suit plus le mouvement de celui-ci et est, pour ainsi dire, toujours en retard». …Le conflit, dans la vie de l’épileptique, est longtemps supporté sans détente et «creuse en profondeur», en condensant auteur de lui de plus en plus de charge affective. L’accroissement de ce ralentissement visqueux mène progressivement à une «stase» ; celle-ci crée pour l’individu une atmosphère irrespirable, orageuse et chargée d’électricité. Ce sont ensuite le tonnerre et les éclairs. La stase provoque des décharges explosives devant lesquelles l’individu reste impuissant ; elles l’envahissent tout entier de façon subite et brutale, provoquant l’obnubilation de la conscience et se distinguant par la soudainetéet la violence ; les ralentis deviennent des excités» ; à ce moment se produisent les violents accès de colère ou les crises ». (Zena Helman , Rorschach /Françoise Minkowska citée; et Zena Helman, La vision en images dans la psychopathologie structurale). 
    "   …Le temps se colore au début des rougeoiements de l’instinct : le sang, le volcan, les blessures du « déchirer » et des coupures au canif ; l’impulsivité explosive dans une agression ambivalente destructrice et poétique, et tout cela dans un climat nocturne, de folle accélération. …L’image précède la pensée, elle est en prise directe sur la réalité et Lautréamont, poète de l’agression et du cri, exprime ce qu’il y a de plus profondément  primitif. Chez lui les images sont liées au monde subjectif, elles surgissent du monde noir ou incendiaire de l’instinct dont la réalité est indiscutable. …Puis peu à peu le sang, l’explosivité, signe d’instinct  jaillissant, s’atténuent et disparaissent progressivement jusqu’à l’absence définitive,   tandis que la nuit épaisse s’éclaircit d’une aube devinée et ensuite attendue dans l’angoisse. …le sentiment tragique s’impose que quelque chose d’essentiel se modifie en profondeur sur le plan humain et cela en relation mystérieuse avec la vie créatrice. …le poète Compte de Lautréamont et l’homme Isidore Ducasse, le premier, doué d’une puissante imagination créatrice, l’autre, d’une intelligence exceptionnelle. On ne peut les séparer, ils habitent ensemble et ont même essayé la grave aventure du mariage. Les « Chants de Maldoror » sont l’épopée d’un couple, affronté au début dans le cri, la violence, la folle passion, et qui s’apaise non sans heurts, dans l’association d’une vie commune, où luttes et compromis s’équilibrent au détriment de l’un d’eux. Puis vient le divorce avec l’indifférence et la fuite du plus faible, laissant place nette au compagnon, qui s’abîme alors dans la stupeur morne de la solitude définitive. ...Nous verrions l'étiage de la profondeur ducassienne, imagée par l'Océan et l'enfance, au contenu d’affectivité et de temps vécu, baisser peu à peu, le phénomène de débordement  laissant place à la richesse, puis à  la pauvreté, enfin au dessèchement, l’assèchement faisant apparaître le fond à la lumière. Par contre et parallèlement, le surréel s'épaissit bientôt dans l'irrationnel, et la réalité intime, toujours vécue et présente, prend l'aspect de l'expression de ce qu'elle est, ou est devenu subitement, c'est-à-dire un état résultant de la progression implacable du schizo-rationnel dévorant agressivement et avec méthode l'homme et le poète. …l’irrationnel des images surréalistes dont le mécanisme est l'absurde, un rationnel inversé: "la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d’un parapluie" a été saluée par le mouvement surréaliste comme une libération des moyens poétiques.  Mais le cadre restreint de ces hasards dus à l'automatisme ferme les issues à la véritable inspiration, dont les racines plongent dans les terres riches du concret. L'erreur grave des surréalistes, qui explique en partie l'impasse de leur mouvement, est d'avoir cru aux images ducassiennes comme à une libération originale alors que, dans la créativité du poète malade, il semble que ces images soient un couchant qui sombre. ...Les forces poétiques n'y sont pas taries mais sclérosées, les images irrationnelles (surréalistes) font foi d’une présence poétique ; mais la source ne jaillit plus et se pétrifie dans le hasard d’une forme comme les stalactites. En vérité il n’y a pas de hasard pour nous, car l'irrationnel  et l'absurde du contenu des images ducassiennes de cette période n'est qu'une logique inversée, quant à la forme de ces images; c'est très rationnel automatisme qui les commande….Ce qui est grave c’est le détachement du poète qui abandonne sa recherche difficile. Abandon du réel et de son image pour fuir très loin dans l’imaginaire romantique sur le coursier vers la lumière sidérale, à une vitesse sidérale qui le sépare plus vite de la vision  obsessionnelle. Temps d’arrête de la créativité active, le poète se laisse aller à la facilité romantique de l’évasion. …Des forces créatrices absentes ne subsiste plus que la forme d’un mouvement habituel. Voilà qui annonce les progrès d’un état schizoïde  stoppé ou masqué  par la recherche et son euphorie momentanée. ...Des périodes subsistent, mais n'accrochent plus le lecteur qui a subitement l'impression de remplissage, le mot étant employé pour lui-même... Peu de verbes et sans vigueur: passifs ou exprimant l'état, par contre les substantifs emplissent la phrase. Les images très souvent bâties sur le système de l'inversion d'une manière simple, évident, comme dans l'antithèse qui est caractère spécifique du type rationnel. ...Et puis création monstrueuse, aberrante, hétéroclite et morcelée! Impression de schéma, de cauchemar. En vérité, c'est une création de schizophrèneAinsi au terme de son œuvre, alors que des forces vives l’abandonnent, que la créativité s’appauvrit, affolé par une solitude où tournent de plus en plus follement des mécanismes intellectuels restés intactes, Lautréamont lutte encore à contre-courant et appelle à lui tout ce qui lui manque, mais en  vain .
 ...« L’œuf dans le paysage » de Pieyre de Mandiargues. Ici la miniature élue est un objet dur et perçant créant un monde froid, abstrait, géométrique, l’œuf est réduit à la forme, à l’idée d’œuf. L’image symbole frappe intellect et le lecteur se dissout, s’anéantit dans cette image inhumaine. Prenons une autre méditation sur la fleur de l’Euphorbe, l’auteur se penche et regarde avec le scalpel de l'attention. Bien sûr le poète crée une rêverie originale et insolite à partir d’un tout petit détail blanc. L’image symbolique de l’œuf de verre se retrouve à peine changée avec la lentille du microscope. Le morcellement, la séparation, la solitude immobile,  désertique, aride. Une sorte d’agressivité et ces rochers blancs qui correspondent au Dbl (détail blanc) du Rorschach, espace intermaculaire où dans la vision le fond devient figure. Le premier exemple pouvait nous faire douter, mais le monde minéral et architectural, agressif et sans vie, nous situe le poète. Pour Oscar V. de L. Milosz c’est un espace usé, détérioré, où l’être s’effiloche aussi à remonter dans un passé d’enfance qui le raye du monde vivant. Ce problème de la   détérioration et du temps – d’un temps si éloigné que le passé n’existe plus, d’un temps dont le présent et le futur sont niés – et cette tragédie de l’être qui s’identifie au sordide des balayures, des objets les plus usés, des bêtes immondes des coins : araignées, souris, mouches, caractérise Milosz. L’espace immense dans sa solitude et son éloignement, l’espace qui sépare les éléments ; l’espace de l’air irréel retentit profondément en Milosz qui l’exprime par des images désolées. Hélas ! combien le monde apparaît terrible à qui ne se connaît pas!   La poétique de Milosz nous émeut par l'expression tragique de la détérioration et de l'éloignement vécus qui sont des aspects du type rationnel. "La poésie est une âme inaugurant une forme", Pierre-Jean Jouve. Qu’une pensée traitant de la chose poétique, complexe en son essence, prenne forme dans la moule du langage "classique" à la précision toute cartésienne, en raccourcis saisissant de maximes frappées en profil de médaille.  Que l’image même de création " une âme inaugurant " soit brusquement gelée par la métamorphose de la " forme ", n’est-ce pas significatif d'une démarche rationnelle? La lucidité affaiblit l'imagination. C'est encore Jouve, poète de la lucidité, qui écrit: "Plus j'avance dans le temps et plus la plongée fut maîtrisée, éloignée de la cause occasionnelle, conduite à la pure forme du langage." De cette image émanent une souffrance, un déchirement provoqué par la lutte incessante d'une âme éprise de pureté. Pour le poète écartelé entre l'ange et la bête qui coexistent et se déchirent en lui, il y a le refuge de la forme. Mais la forme n'est-elle pas le détachement de l'image? L'image lyrique dans sa forme, mais non dans son inspiration. Le contenu en est plus rationnel que poétique. Cette forme où il enfermera l'image trop turbulent, n'est-ce pas un peu une prison, une belle prison certes, mais l'image perd en vie ce qu'elle gagne en beauté. N'avons-nous pas une impression pénible d'étouffement donnée par le forêt "infiniment resserrée" de Jouve, avec sa "couche de mousse énorme" et ce "cri de velours", qui étouffera tout vrai cri? ...C'est une agression déléguée, par procuration et sans aucune impulsivité. N'avons-nous pas, plus encore que l'image d'immensité -- l'image inquiétant d'une forêt-piège immobile, d'une prison inhumain, d'une prison naturelle antérieure à l'homme. Le langage rationnel détériore la poésie, il en est la négation. Une hantise de la forme en relation avec le rationnel domine la façon de concevoir l'oeuvre d'art "pensée" et non "sentie", objectivée non par la personne mais par l'objet. ...cette détérioration provenant, croyons-nous, de l'impossibilité toute intime de sentir vraiment en profondeur pour ne s'attarder qu'à la forme. 
   L'image poétique apporte une des expériences les plus simples du langage vécu, le sujet parlant est tout entier dans une image poétique, la conscience imaginante se trouve être une origine et le départ de l'image dans une conscience individuelle est tout le problème. Avec l'image poétique l'automatisme de langage ne fonctionne plus. La poésie est un phénomène de liberté qui n'a pas de cause ni de passé. L'imagination est antérieure à la mémoire, l'image n'illustre pas une pensée comme dans le symbole, elle crée la pensée, voilà pourquoi l'image poétique nous ébranle en profondeur... L'image va se dérober  au psychologue, au critique, au psychanalyste qui veulent la décrire, l'interpréter, l'intellectualiser -- Pour eux le poème éveille des "résonances", ces résonances qui émeuvent seulement la surface de l'être avec le savoir, les sentiments, le passé.
   En poésie le non-savoir est une condition première. La vie de l’image est toute dans la fulgurance et dépassement de toutes les données de la sensibilité et l’œuvre créée prend un tel relief au-dessus de la vie que la vie ne l’explique plus.  
   ...L'instinct ancestral de cri: que ce soit la plainte de la nature, la colère provoquée par la faim, la souffrance de la blessure vive, l'enfantement, la mort, l'épouvante, thèmes tragiques et vitaux, le cri est protestation, condition de survie. Dans l'univers crié et nocturne va s'épanouir l'instinct d'agression qui surgît du plus lointain des aubes de la vie primitive. Instinct implacable, destructeur et aveugle qui rend irresponsable.
     L’informel du cri et du chant. Le cri et la parole sont le chant et la musique parce qu’ils ont le pouvoir, en une montée pure et aérienne, de s’évader très vite de cette terre  abjecte.      
    Contraste entre la durée de la vie qui s’étale et l’instant du plongeon qui amorce la courbe dans le jaillissement, véritable décharge impulsiveEntre ces deux pôles, pourtant reliés par la vie toute entière, pas d’autre moyen terme de vivre le temps avec sa violente opposition : très longue durée ou éclair de l’instant dynamique.
    ...La poésie ne connaît pas d'intermédiaire, c'est une âme qui parle à notre  âme. Elle est un phénomène naturel, mais seul le poète en est témoin.   ...Malheur à l'homme, au pauvre lecteur qui la rencontrera au hasard de sa lecture, car il sera agressé d'une menace épouvantable qui, à peine formulée, risque de tomber sur le monde des humains".                  Natalie Zumbadze chante "Iavnana"
Yvonne Rispal, Le monde de Lautréamont à travers l'étude du langage /et/ Yvonne Rispal, Gaston Bachelard et les images dans "La poétique de l'espace", en relation avec les métaphores vécues de Françoise Minkowska  
  "Parmi les infinies successions de sons que la musique rend possible, il s'en trouve qui surgissent soudain avec un relief singulier. Ces successions s'imposent d'une manière irrésistible à notre attention. Elles semblent gonflées d'un sens secret, emplies d'une persuasion efficace. Elles brisent notre indifférence et s'implantent immédiatement dans notre mémoire, dans notre souvenir. Ces successions de sons douées de cette vertu d'attraction et d'émotion se nomment mélodie ou thème... La Musique se présente à nous comme un substitut momentané mais total de notre propre vie. Si cette substitution s'accomplit réellement, ce n'est pas un objet de contemplation susceptible d'accoutumance qui nous est offert, mais un épisode transposé, sublimé, de notre vie propre. Cet épisode a un sens, un destin. Les marques de ce destin, nous les subissons non comme des marques que nous observons, mais comme des marques prémonitrices d'événements, comme des accidents personnels. Dans la mesure où les effets de surprise sont essentiels au destin musical qui nous est proposé, ils ne risquent pas plus de perdre leur valeur que ne se perd dans notre vie quotidienne la valeur de succession du jour et de la nuit.  (L'ensemble svane, Basiani, chante "Asho Chela") La surprise demeure, ne s'abolit jamais. Si, au contraire, la surprise est surajoutée au texte musical comme un appel brutal à l'attention, son effet ne se prolonge pas au-delà des premières auditions… La sur-attention est un phénomène provoqué par le seul contact physique de l'idée dominante. Ce phénomène peut varier d'intensité suivant les tempéraments, mais s'il n'a pas lieu, c'est que l'auditeur est incapable de discerner le caractère essentiel d'une idée dominante, c'est-à-dire de parvenir à une conception hiérarchique de l'organisation des sons. Les auditeurs qui ne réagissent pas au contact physique d'une idée dominante par l'éveil de la sur-attention ne sont donc pas susceptibles d'un jugement esthétique. Pour tous les autres, la présence de la sur-attention suffit comme critérium de base de la notion de beauté.  Appelons irradiation d'une idée musicale la force d'influence, par sympathie ou par opposition, de cette idée sur d'autres appartenant au même morceau. Cette influence se manifeste en dehors du travail thématique, des répétitions, des allusions, même furtives, à l'idée en cause. L'irradiation agit par extension, au-delà des limites perceptibles d'une idée musicale, en chargeant d'une signification accrue les idées musicales à proximité, qui, à leur tour, réagissent sur les idées suivantes. Si l'irradiation s'exerçait d'un bout à l'autre d'un morceau sans rencontrer d'obstacles, l'auditeur aurait l'impression finale d'une pédale de sensibilité grande ouverte qui, semblable à la pédale du piano additionnant et mélangeant les sonorités successives, joindrait en une synthèse émotive grandissante la force d'influence de toutes les idées apparues peu à peu le long du morceau. Ce cas limite ne se rencontre que très rarement parce que l'irradiation est brisée dans ses effets chaque fois qu'une idée se prolonge par une jointure artificielle. L'irradiation d'une idée ne passe sur une autre idée que conduite par une jointure essentielle, de même que le courant électrique a besoin, pour passer, d'un métal bon conducteur… Pour qu'une idée musicale soit susceptible d'irradiation, il faut qu'elle se trouve, dès l'origine, en quelque sorte sous pression, qu'elle  détienne des forces expansives d'émotions qui ne parviennent pas à se libérer toutes pendant la durée de l'expansion de l'idée. Seules les idées dominantes, par leur concentration en quelques notes d'émotions hautement significatives, sont donc susceptibles d'irradiation… 
  Si l'on considère le temps musical dans son sens propre, la notion commune de durée n'y trouve pas sa place. En effet le temps musical se décompose, non en durées mesurables, mais en durées émotives dont les variations n'affectent que notre perception de l'intensité. Dans un morceau de musique où l'irradiation s'exercerait sans obstacles, la notion habituelle de durée perdrait pour l'auditeur toute réalité, car le temps musical serait substitué à la durée mesurable. Si le sentiment commun de la durée pénètre en nous au cours de l'exécution d'une œuvre musicale, si nous avons une sensation de longueur ou de brièveté, c'est que l'irradiation s'est interrompue, que le temps musical a été brisé sur quelque point… La Beauté d'une idée dominante est une révélation brusque faite à la conscience de l'auditeur par l'ensemble de ses facultés réceptives. Cette révélation correspond à l'épanouissement spontané sur un plan transcendant du choc émotionnel provoqué par la démarche de l'idée dominante. La projection de l'émotion sur un plan transcendant a lieu, pour l'auditeur, au contact physique de l'idée dominante. Le contact physique est la condition de la révélation, donc de l'existence réelle de la Beauté. Quand ce contact prend fin, la notion de Beauté de l'idée dominante n'existe plus chez l'auditeur qu'à l'état de conséquence sensible et intellectuelle, par l'effet de la mémoire et de l'imagination… Le sens d'une idée dominante (interprétation spontanée de l'émotion) est affaire de tempérament individuel, quel que soit le degré de culture musicale auquel parvienne l'auditeur. Suivant les tempéraments le sens de tel thème de sonate, de symphonie, apparaîtra sur un plan imagé, ou intellectuel, ou affectif, voir moral. Le sens de l'idée dominante ne peut donc pas être un élément déterminant stable de la notion de la beauté. Il peut en être un adjuvant, mais extérieur, mais rapporté. Le sens s'ajoute à la notion de beauté, peut la compléter, mais ne la détermine pas. Il subsiste donc comme seul critérium stable de la beauté d'une idée dominante, sa signification. ...La signification de l'idée dominante est un attribut seulement physique de cette idée, à l'exclusion de toute interprétation imaginative, de toute transposition sentimentale ou intellectuelle, de toute coloration passionnelle de la sur-attention et de l'émotion. Bien délimitée dans ses origines et par ses composantes, la signification des idées dominantes comporte un ordre de grandeur très net. Une des sources les plus abondantes de la musique [de la poésie] inesthétique  est formée par des idées, considérées comme dominantes par les compositeurs [par les poètes], mais au vrai demeurées à mi-chemin dans l'ascension à partir de l'inspiration progressive jusqu'à l'inspiration directe. Ces idées, travaillées et retravaillées sur des prémices trop maigres, ne parviennent jamais à posséder une signification importante. Le danger de l'inspiration progressive réside dans le sentiment de sécurité que donne au compositeur [au poète] la forge lente de ses idées dominantes. S'il n'a pas de génie ou de grand talent, quelque effort qu'il fasse, il n'atteindra jamais à l'inspiration directe. Et comme, confiant dans la vertu, alors bien insuffisante, de son travaille, il agira avec des idées de signification médiocre comme si l'inspiration directe lui avait offert des idées dominantes sublimes, comme il les mettra en vedette, les répétera, les fera valoir, l'auditeur [le lecteur] aura le sentiment profondément décevant d'être pris à partie dans un long malentendu, d'être victime d'une sorte d'imposture, de beauté fictive s'arrogeant le droit de l'authentique beauté. Car, quels que soient la valeur de l'architecture sonore, la recherche des harmonies, des rythmes, l'intérêt en soi des idées secondaires, la médiocrité des idées dominantes s'étendra, comme par une contagion, sur tout l'ensemble du morceau... Les musiciens [les poètes] médiocres chargent leurs accompagnements et étouffent par là même la résonance spontanée de leurs mélodies. Il est vrai que, dans bien des cas, ces mélodies entendues seules n'auraient que peu de résonance spontanée, de sorte que le mal n'est pas grand et rien n'est à regretter…
  Lorsque l'idée dominante possédera une organisation sonore telle qu'une modification quelconque de sa contexture affaiblirait sa signification, alors la notion de beauté parviendra à son importance maxima.
(A.Milcheva chante "Où es-tu, ma petite étoile" de Moussorgski, l'épileptique de génie) La notion de la beauté d'une idée dominante est une notion de beauté physique pure. Toute transposition intellectuelle de cette pureté physique est inessentielle et arbitraire, même lorsqu'elle contribue à fortifier et à étendre la notion de beauté". /accès à la musique, Daniel Lazarus, EfR
   "Comment connaître un de ces souffles généreux et primordiaux qui font les héros comme ils font les poètes? ...ornements, préciosités, mièvreries; le geste grandiose et la miette mignarde, l'enjolivure et la boursouflure, les afféteries maniérées, tortillées, chiffonnées, et les métaphores à panaches, les hyperboles dressées sur leur cothurne, la sonorité continue; toutes ces efflorescences du vide qui s'enfle ou se brode, se tuméfie ou se ravaude, se pavane ou se pomponne; toute cette littérature de monarchie qui va s'accroître, prospérer, infester les cours d'Espagne, d'Angleterre, de France: tout cela est né au quattrocento. Il faudra la Révolution pour le détruire" (Philippe Monnier, Le Quattrocento)La révolution poétique n'a pas eu lieu. La bourgeoisie du XIX siècle, avec son goût médiocre et avec ses appétits artistiques faciles et banals, a inventé la multiplication des oeuvres d'art de série. A l'heure de l'industrialisation de l'art, la parole à "la sonorité continue" avait été remplacée par la parole industrieuse. Le poète moderne est l'image de celui du quattrocento, qui "croyait mériter d'être loué, lorsqu'il avait accumulé beaucoup de choses en tas" (Paolo Cortese). Il est tombé dans la fatalité des mots"La rime ajoute encore une fatalité des mots" (Charles van Lerberghe). Sa phrase, comme celle du poète patricien, est "aussi sonore qu'elle est vide, aussi riche de paroles qu'elle est pauvre de pensées" (Ph.M.)Les hommes modernes, comme ceux du quattrocento "n'ayant rien à dire, ne disent rien  interminablement"(Ph.M.)«..L’alexandrin classique est un " accord parfait ", on ne compose pas des suites harmoniques avec des successions ininterrompues d'accords parfaits. Trop de plénitude arrête l'action; loin de renforcer l'impression, elle l'appauvrit. ...L'art de composition consiste précisément dans tous les arts à faire servir un nombre restreint d'éléments à des expressions multiples dont le renouvellement, sur un fond éternel, est inépuisable. Il consiste surtout en ce que les valeurs tirés de ces éléments ne soient pas égales, entre elles, que des vides séparent des pleins, que leurs groupes ne fassent pas tous images. (En poésie, le défaut de la composition parnassienne, aussi de la mallarméenne, fut précisément d'exagérer la succession de ces reliefs). …Ainsi que dans la vie, il n’y a pas de remplissage analytique pour remplacer ces secondes de silence qui séparent las faits. …Il y a la nécessité, pour ne pas fausser la vie, pour tenir l’unité parfaite, des scènes brusques et ramassées qui laissent tout dans le noir. /Robert de Souza. ("Orovela", chantée  par une paysanne géorgienne)    
   "Le mythe de l'art moderne est une leurre et une sinistre duperie. L'homme qui vit et qui crée à rebours, qui tire orgueil de cette faculté de déformer la nature (le corps et le visage humains) ou de la styliser, de lui faire rendre âme, de la réduire à l'état de schéma, est perdu corps et biens. L'oeuvre de libération accomplie par les peintres qui créent des formes banales, entièrement dépourvues de valeur émotive -- est une légende… dorée. Ils traitent l'homme comme un quelconque motif décoratif, comme un prétexte à variations plastiques ou comme une nature morte; ils font rentrer  la tête de celui-ci dans l'anonymat, ils en font une tâche égale aux autres tâches. Ce non-être et ce lugubre idéal du fantoche est introduit dans la peinture française par Manet, dont on dit qu'il avait emboîté le pas à MonetCelui-ci ignore la perspective linéaire, ce viatique de l'homme polarisé et capable de choix. Il se place au milieu de l'image. Il flotte dans un espace sans commencement ni fin. La volonté de direction lui manque. Le grandiose élan en profondeur de l'âme occidentale fait place dans son esprit au sentiment cosmique du peintre chinois. L'impressionnisme, mystique des apparences, signifie l'abdication de l'être pensant et agissant, sa résorption, son anéantissement dans l'atmosphère, dans l'ambiance aérienne("Le sacrifice de tout élément de caractérisation -- habituel chez Renoir -- est, dans l'étude pour la Rhône et la Saône, poussé au maximum. Têtes informes, absence de mains, bras réduits à des moignons: partout le type. Le Jugement de Pâris semble être comme un résumé de son art , son vrai testament, plus encore que les Deux Nymphes de Louvre. Remarquez-le, pas de face ni de profile, c'est-à-dire pas de plan, rien que des volumes. Ses formes sculptées ressemblent à la Vénus de Milo. Mêmes formes généreuses, seins lourds, taille inverse de la taille de guêpe, ventre dru, hanches puissantes, attaches lourdes, figure impersonnelle, typique"/Germain Bazin, Les sanguines de Renoir). Comment Van Gogh se comporte-t-il devant plusieurs figures réunies dans un espace fermé, Il est indifférent que cet espace soit un paysage ou bien un intérieur: sa lumière est partout identique à elle-même. Elle est égale et claire, quel que soit le lieu choisi par le peintre et quel que soit l'éclairage dans lequel se déroule son action. (Excepté les toiles peints en Hollande, où, sous l'action de ses compatriotes, il faisait planer les formes dans un espace traité en clair-obscur.)  Il scelle l'unité de sa composition par un rythme extérieur  de lignes  et de couleurs qui forment, sur toute l'étendu du tableau, un dense réseau ornemental, une toile d'araignée, dont les mailles emprisonnent le motif. Quel que soit le point de sa saturation, une oeuvre ainsi exécutée ne peut agir comme une peinture d'espace. Ancêtre direct des peintres fauves, usant d'une technique à base de pointillisme, il ne se sert que de couleurs spectrales disposées en striuresCézanne, cette vache à lait de la peinture moderne, maçonne les visages et il ébauche des sites. Son autoportrait ne peut rien nous apprendre sur lui, envisagé non seulement comme un peintre, mais aussi comme un individu. Ses lignes brisées, ses plans intersectés, se heurtent et s'entre-choquent. Son espace est une niche à facettes, un polyèdre en creux. Ses figures (Baigneuses) miment des gestes. Elles ne se meuvent jamais. Elles ignorent la motion. Il dresse dans l'espace des formes mal équarriées. Il ne peut maintenir les flots de la couleur dans les limites de la composition. Ce brise-lame trop fragile semble céder. Il craque aux entournures. D'où l'aspect branlant de ses figures, d'où aussi le mouvement syncopé de sa cadence faite de contrastes des forces. La laborieuse chimie de la couleur de la dernière période de Degas, son infernal cuisine, ses alliages savantes et compliques, donnent les plus surprenants résultats. Ses tons fauxstridentsdésacordés, éclatent en fanfares. Cette écriture chromatique justifie, semble-t-il, les libertés prises quelques années plus tard par Picasso et Braque. Les figures qu'il a peint à la fin de sa vie évoluent dans le vide. Soudain les images s'animent et quittent leurs cadres. Une image chasse l'autre et lui succède. Les chevaux de course et les scènes de ballet qui datent de la maturité du peintre sont des films tournés au ralenti. Les formes s'enchainent, s'interpénètrent, se fondent et, avant même de fixer l'attention du spectateur-médium, deviennent d'abstrait schéma géométriques. Ses oeuvres de vieillesse comprennent aussi des dessins au fusain et des pastels qui représentent des femmes sortant de leur baignoire, des baigneuses en plein air et des compositions de plusieurs personnages: figures écorchéesétiréesdistordues de contorsionnistes qui impriment à leurs corps des formes extravagantesLautrec sort de Degas, dont l'oeuvre est le point de départ d'un art plat, linéaire, décoratif ou caricatural: de Van Gogh, de Gauguin, des affiches de l'époque "modern style". Mais Degas n'est pas seulement le père spirituel de tout un groupe de peintres qui oscillent entre l'expressionisme et la stylisation. Ses troncs cylindriquestêtes sans visageboîtes crâniennes traitées en facette de diamantspolyèdres s'emboîtant, annoncent les oeuvres "nègres" de Picasso. L'homme profane ou brise sa propre image. Il se mire dans une glace déformante, puis il fait voler en mille éclats ce miroir magique. Picasso justifie une société qu'il paraît devancer mais à laquelle il sert de témoin à charge. Son oeuvre est le produit d'une psychose collective. Ce peintre passif ignore l'attitude de combat. Il est agi par un déterminisme historique rigoureux. Il subit son époque. Il est incapable de lui servir de guide. Plus sensible et plus impressionnable que les hommes de son temps, il les précède dans leur course à l'abime. Les compositions de Gauguin sont ouvertes. Elles sont articulées comme des oeuvres primitives, comme des peintures des frisés. Lui, il ignore, ou il veut ignorer le rythme en profondeur et la perspective qui unifie l'espace. Il imite le style des indigènes. Il barbarise jusqu'aux légendes chrétiennes. La vision en surface de Matisse est un phénomène de conscience primitive. Matisse érige dans le vide d'un espace que n'anime aucun souffle ses objets de peinture. Que Modigliani fût tributaire des statuaires noirs dont les oeuvres façonnèrent le goût contemporain ou des maîtres primitifs italiens, cet archaïsant, ce préraphaéliste anime, par des regards tournés vers l'au-delà, des visages de momiesLa couleur ronge les formes des cadavres vivants de Soutine et leur imprime une nouvelle direction. Un faciès tordu par un rictus ravage tous les traits. Les surréalistes ne voient en l'homme qu'un spectre, un ectoplasme. Les expressionistes le ravalent à l'état de reptile ou de larve. "/Waldemar George, FORMES, LA RENNAISSANCE
 « …subtile, insolite, la mélodie de Schumann jaillit du plus profond de son être, mais ne s’en détache que laborieusement, douloureusement, par lambeaux… Aussi la ligne qu’elle décrit est-elle brisée, tourmentée, convulsée, pleine de heurts, de sursauts, de retraits et d’arrêts, fiévreusement secouée de frisons, en lutte, non seulement avec des forces extérieures qui l’entravent, mais avec les éléments divergents de sa propre substance. …La dualité n’est pas chez lui un jeu technique, une forme : c’est le fond même de son être qui se reflète, ainsi segmenté, dans toute son œuvre, et qui modèle, selon ce rythme alterné, les formes par où il s’exprime. Il n’y a jamais, chez lui, combinaison sans reste, rencontre sans hiatus » (Victor Basch)« Le Lied ne survivra guère au mépris du « populaire » que va semer la vogue patricienne du « madrigal ». Il n’y a pas de Lied entre le folklore médiéval, où il se cache quelque part (Laudario de Cortona) derrière cette grande entreprise savante : le grégorien – et le Lied de Schubert (et de Moussorgski) qui fleurit sous les futaies savantes…: Lorsqu’un Berlioz, dans « la Damnation », chante la « Nature immense », il essaie en vain d’annexer cet ordre de présences à l’univers poétique français. Il se situe hors de notre sensibilité et ne trouve qu’une emphase… Duparc, Fauré ou Debussy, se situeront sur un plan soit trop élevé et différencié, soit trop littéraire : et l’homme n’y retrouve pas son visage comme dans le Lied. Mais peut-être le Français n’a-t-il pas besoin de Lied (de "son visage"). ...Chez Carl Maria von Weber, parfois, rarement, il se dégage, comme à moitié, quelque chose qui tend vers le Lied : un tournant de strophe, une bribe de mélodie… Le Lied de Felix Mendelssohn, joli, chantant, par moments visité d’une espèce de tendresse, est en définitive un monde pauvre. Il ne débouche sur rien. Il n’a de résonance nulle part. Ce qui y manque, c’est un univers. Il existe, en ce sens, une parenté inattendue entre Mendelssohn et Franz Liszt. Le langage de Liszt, en Lied, est un mosaïque extraordinaire de tout ce qui ne se rencontre pas. Harmonies lisztiennes et wagnériennes se côtoient dans un enveloppement orchestral qui, gêné par le cadre de Lied, apparaît en discontinu. Une ivresse chantante s’appesantit comme incoerciblement, qui nous a valu tant de sortilèges faciles. Les paysages surgissent avec leur fraîcheur à la fois sincère, habille, -- et comme déjà par avance ressassée. Ses thèmes de rhapsodies apparaissent en diminutif, avec ce même caractère fuyant, dérobé et fragmentaire qui, dans ces œuvres, éclate à chaque pas. Il tente donc assez peu de rejoindre, on ne le dira jamais assez, une substance « populaire » qu’interdit presque absolument le niveau élevé d’écriture où il s’est tout de suite placé… Autant Schubert est simple, et comme acculé aux seules illuminations du génie, autant le génie de Shumann se propulse dans le savant. Dans le choix de Schumann, rien n’était laissé au hasard de la rencontre. Ce lettré presse un texte comme un fruit. Il ne laisse pas se perdre une goutte. …Le poème y semble brusqué, malmené, emporté par une espèce d’océan sombre et sans figure. Les Lieds ont une épaisseur symphonique en qui s’annonce ce « poids du monde » que Wagner demandera à ses drames (…la solution qu’avait trouvé Wagner est d’ordre épique – comment aurait-il eu besoin du Lied ?). Ils sont comme un élément de conscience vivante en suspens et perdu au sein d’un magma de menaces, de déterminations obscures qu’il faut suivre et subir. Ici donc, nous sortons du Lied : mais nous prévoyons son amplification monstrueuse dans Mahler ou chez Schoenberg, dans la même mesure où nous prévoyons à l’autre pôle, la perfection de ciselure d’Hugo Wolf. Celui-ci entre dans un monde de la nuance microscopée, et presque dans une glorification du rébus devant laquelle, le cœur et l’esprit, se trouvent pris à court, l’intuition leur refusant son aide faute de temps : car seule la musique « n’attend pas ». Le Lied de Brahms souffre de l’insipide indifférence, l’indiscernable gris de ses poètes. Celui de Wolf échappe aux yeux par la perfection des siens. En fin de compte, le musicien qui glorifie ses poètes choisis ne glorifie à travers eux que lui-même. …chez Schubert, le musicien est plus près de la découverte, la musique guettant le poème comme une proie, et pour Wolf le choix est d’abord de l’ordre poétique, la musique attendant derrière, tumultueuse, quelque décret du verbe pour jaillir. Et ce qui l’entraîne loin de l’unité, c’est précisément sa fidélité au texte. Un monde intérieur terriblement conscient, férocement jointé conduit cet art… Gustav Mahler était le plus tendu des êtres.  Avec Brahms déjà on s’en doutait. Avec Mahler, cela devient une évidence. Le Lied « populaire » est en réalité, (s’il n’est le plus plat) le plus savant de tous : car il procède par transposition d’atmosphères simples, « ingénuités » savantes de la mélodie, feintes de chaque instant… Le « Chant de la terre » est-il un Lied ? Une symphonie ? Même la symphonie avec chœurs ne suffit plus à l’intégration du son et de verbe… Le « A minuit », plus que jamais nous sommes sortis du temps, presque de la matière expressive elle-même… Max Reger, fils lointain de Jean Sébastien, mais fils compliqué, ratiocineur d’harmonies, est d’abord un homme dont le Lied, pour ainsi dire, n’a point de contact avec l’univers poétique, ni avec l’univers en général. On se demande pour quelle raison il choisissait ses textes, s’il n’était évident que ces raisons étaient d’ordre petit. Il y a même chez lui une espèce de Loewe parfois qui sommeille (ce folklore pour bourgeois qui n’ont pas vécu l’aventure ni la douleur). Il complique à plaisir ce que Mahler appela la « confusion à froid »... Il lui manque la pensée musicale suffisamment indifférenciée pour se fixer, fut-ce momentanément, en vision. Ses Lieder apparaissent comme une danse paradoxalement riche, mais trop souvent assez vaine de poussières, -- et pas même toujours de poussières dans du soleil… Richard Strauss a eu beaucoup de mauvais poètes pour son Lied. C’est peut-être qu’il ne les avait pas assez cherchés plus haut, ou qu’il ne lui était pas donné de les découvrir dans une inquiétude. Il a élargi, sous le couvert de la véhémence, et du savoir technique qui la soutient, la mélodie de salon jusqu’au monumental. C’est peut-être lui qui, seul de tous, rejoint par là la romance, qui, dans le sens justement péjoratif du terme, est paresse et volupté triviale, spéculation sur des affectivités sans retenue ou de parade. Il montre assez comment le langage harmonique a fini par offrir à qui le peut des magmas sonores, des couleurs de notes écrasées, grâce auxquels on peut imiter à volonté et presque jusqu’à l’illusion, les sincérités du « cœur ». Il se fait peu à peu chez lui une absence angoissante d’univers, justement là où les dionysies wagnériennes surchargées, semblent porter témoignage des sensualités de cet univers. Il y manque précisément le tragique vrai, cette bouleversante présence de l’homme dont toute générosité sonore ne dispense point. Il manque à tout cela une marque authentique de souffrance, d’inquiétude. Même les peines sont trop heureuses. On y trouve pas cet accent, cet accord, cet élément d'incipit qui fait, dès le premier effluve, surgir une solitude, un destin». /Marcel Beaufils, Le Lied romantique allemand  (A. M. chante Moussorgski) 
    "La vie de l'âme succède à l'agonie du monde; ou, plutôt, toutes deux s'impliquent et se pénètrent. ...Il faut répéter que l'art n'est point, et ne peut pas être la sténographie de la vie. L'expression artistique, en général, et l'écriture, en particulier, c'est la pensée, sans doute, mais filtrée, délivrée de toutes les lourdes et pesantes démarches qu'elle implique; ce n'est pas, et ce ne doit pas être toute la pensée au sens quantitatif de ce mot; mais c'est la pensée dépouillée de ses scories, et qui a jeté bas l'échafaudage pour apparaître enfin dans sa réalisation glorieuse; c'est la pensée en qualité. Nous serions même tentés de dire que le meilleur moyen de spatialiser la pensée et de la matérialiser, c'est de la noyer sous l'avalanche roulante des mots. Que sont tous ces tâtonnements, toutes ces énumérations verbales, sinon le signe que la pensée est impuissante à jaillir, qu'elle est empêtrée dans le bagage des mots, arrêtée par l'accessoire, incapable de percer, emprisonnée dans des sonorités serves qui se recommencent, murée dans des enfilades sans issue, recouverte de terre à mesure qu'elle essaie de se dégager, déjà vaincue en se débattant, prétentieuse ambition de fleur qui ne peut éclore...? La littérature devient une sorte de photographie: pis encore, une photographie sans mise au point; un appareil dont l'objectif est constamment ouvert. Chateaubriand, devant un Allemand qui d'une fenêtre en écoutait un autre, s'écria plaisamment: Il attend le verbeEt nous, nous attendons, devant une phrase qui essaie le paradoxe de traduire la durée pure, -- la fin, la conclusion, l'affirmation, trop heureux quand on nous la donne, et quand nous n'avons pas, nous-mêmes, la charge de la fournir. J'ai toujours pensé, pour ma part, que c'est l'image qui est statique, et l'idée dynamique. Malgré l'apparence, l'image est, en quelque sorte, la conclusion de l'idée; elle est ce qui ramasse la pensée; la découpe et la fixe; elle est l'immobilisation plastique de la pensée; elle n'est pas le courant; elle est le terme et le récipient. L'image est un arrêt. Si toute image plastique, même l'image du mouvement, est immobile, c'est dans le discontinu qu'elle s'étend. Et, en effet, les images, surtout chez un visuel, comme Hugo, sont si précises, qu'elles se succèdent spatialement comme les divers aspects d'un film qui ne tournerait pas, juxtaposées, incapables par un déroulement, si rapide soit-il, de donner l'illusion de la continuité mouvante. Elles vibrent comme de successifs cliquetis d'épées. Où se prendre? N'y aurait-il pas alors des images qui s'enroulent? Oui, certes; mais ce ne sont plus des signes visuels; ce sont des notes dont nous ne disons pas qu'elles s'enchaînent, car cette idée de maille nous replonge dans le spatial et dans le discontinu, mais qu'elles retentissent les unes dans les autres, comme les accords d'une mélodie" /Louis Boisse,   L'esthétique de l'intuition. 
    L'esprit schizo-rationnel de l'homme blanc se rapporte à l'état de conscience, uniquement, et il se détourne de tout ce qui est subjectif: "Si l'émotion ne paraît communément capable de causer que des troubles imaginaires, c'est que chacun ne connaît immédiatement d'elle qu'un état de conscience; et son importance est mise en suspicion par ceux-là mêmes qui, faisant profession de tout rapporter à des conditions objectivement vérifiables, devraient prendre à tâche de ne rien laisser, fût-ce de simples faits psychiques, en dehors de leurs explications". /Henri Wallon, Les réactions motrices dans les crises dues à l'émotion. -- Sa mentalité projective, à l'image du maniaque,  ne permet pas à l'homme noir à se rapporter beaucoup ni à l'état de conscience ni  à ce qui est subjectif. Voir: entropie raciale https://entropieraciale.blogspot.com
Epileptique n'est pas un primitif:

"L'épilepsie offre un contraste saisissant avec les états maniaques, où les centres d'émission motrice ont une telle volubilité du débit que le flux des perceptions et des idées, si accéléré soit-il lui aussi, ne parvient souvent pas à les fournir suffisamment vite de motifs nouveaux. Mais les répétitions de propos et de gestes qui se produisent alors sont loin de donner comme dans l'épilepsie une impression de recherche et d'effort. C'est visiblement au contraire une incontinence incoercible de mouvements et de mots, qui culbutent les uns sur les autres, sans que le maniaque tente seulement de les retenir. Automatismes et réminiscences, associations idéo ou sensori-motrice se déchainent et s'appellent de la façon la plus accidentelle; attestent le désarroi ou le totale absence du contrôle intellectuel, moral, mental. (La seule façon d'entrer en contact avec les événements et les choses, pour l'épileptique, n'est pas l'abandon volubile du maniaque à toutes les réactions qu'entrainent les impressions les plus fortuites dont l'ambiance peut l'assaillir.) Inversement, l'épileptique est toute concentration, toute application, et parait peiner, lutter pour réaliser son acte et sa pensée, bien loin par conséquent de s'abandonner à une trop grande facilité d'exécution et d'extériorisation. L'entrée en contact avec le réel est bien la loi de sa conscience et le distingue du schizophrène ou du confus, mais elle s'opère tout autrement que dans la manie, où chaque impression sitôt reçue se découvre instantanément un exutoire quelconque dans l'appareil moteur par le jeu d'une association plus ou moins élémentaire" /Henri Wallon,        La mentalité épileptique.
   Le "mosaïque extraordinaire (ethnique, français) de tout ce qui ne se rencontre pas" est dû à la nature de la langue française, laquelle "...par sa structure même, implique une relation  fatale d'aliénation"/Roland Barthes, Leçon. "Il est démontré que nous n'avons point de déclinaisons; que nos conjugaisons sont très incomplètes et très défectueuses; que notre construction est surchargée d'auxiliaires, de particules, d'articles et de pronoms…" /Jean-François de la Harpe, Cours de littérature, 1790. "La langue française, d'après le dictionnaire de l'Académie, est peut-être, de toutes les langues des peuples civilisés du monde, la langue possédant le plus petit nombre de mots"/Edmond de Goncourt. "Des mots essentiels manquent, que personne n'ose créer…"/Charles Bally, Le langage et la vie. "Vers 1750, dans le débat avec Diderot sur "l'ordre naturel" de la phrase française, l'abbé Batteux avait déjà émis l'idée que l'on pouvait rapprocher au français de ne pas être capable de calquer l'ordre même des idées telles qu'elles importent au sujet, mais de se calquer sur un ordre "logique" somme tout moins important. ...l'on a longtemps, voir toujours, posé la question à l'envers, car il y a "fascisme" non lorsque la langue m'empêche de dire, mais bien lorsqu'elle m'oblige à dire"/Gilles Philippe; Le Français, dernière des langues. "C'est une langue maigre, dont la saturation exige une longue portée des phrase.., …à celui qui philosophe dans cette langue, il est imposé de disposer le concept et ses descendances sur le lit de Procuste d'une sorte de latinité seconde. Une chose sera dite après l'autre, et il n'y aura d'échanges verbaux que ceux qu'autorisent la grammaire des consécutions et la réglementation des univocités"/Alain Badiou, Français. "Le français fait l'effet d'un langage second; il n'a pas connu l'âge magique où les gestes et les mouvements s'imprimaient, pour s'exprimer directement dans la conscience et le langage; il s'est constitué à la suite d'une autre langue; les mutations phonétiques, les contractions, sous des influences diverses, lui ont fait perdre maints aspects pittoresques originaux, l'image latin ne s'y découvrant souvent que pour le spécialiste. Il est né à l'âge raisonnable où l'esprit d'analyse était déjà vivace qui, joint à un sens de plus en plus développé de la généralisation et de l'abstraction et, sans doute, le diable le poussant, à quelque influence paresseuse de moindre action, a fait que des mots de valeur générale ont remplacé plusieurs mots de valeur particulière et que l'on a eu des verbes comme entrer et sortir en face de séries allemandes plus concrètes et plus riches... Pauvreté ou miracle, un seul petit verbe signe passer peut correspondre à une cinquantaine de verbes allemands"/Alfred Malblanc, Stylistique comparée du français et de l'allemand. "...le français a une prédilection pour les mots simples et tend à simplifier ceux qui ont une forme complexe. C'est dire qu'il pratique largement l'arbitraire du signe. (Un signe est arbitraire quand il ne contient rien en lui-même de l'idée qu'il représente; celle-ci est fixée dans le mémoire uniquement par le jeu des associations que le signe contracte avec d'autres signes.) Par opposition au français, l'allemand (les langues germaniques, slaves, caucasiennes, finno-ougriennes…) motive abondamment et explicitement son vocabulaire et sa grammaire.  (Un signe est motivé quand, par sa structure interne, explicite ou implicite, il caractérise, d'une manière ou d'une autre, l'idée qu'il désigne, indépendamment des associations qui le relient à d'autres signes.) Nous connaissons sa prédilection pour les mots complexes, composés, préfixaux et suffixaux. ...la recherche du mot propre est une des grandes difficultés du français, parce qu'il faut, pour chaque mot, conserver dans la mémoire une foule d'associations extérieures (compliquées, qui varient d'un cas à l'autre), et réaliser l'une ou l'autre dans le discours pour faire apparaître, parmi les sens possibles, celui qu'on veut faire entendre. Il est naturel que ces associations prennent aisément une forme stéréotype: plus elles sont nécessaires, plus elles se cristallisent en expression toute faite. Le français est une langue où il est extrêmement facile de parler et d'écrire en enfilant des clichés. Enfin ce même besoin d'association fixes a pu contribuer à donner aux Français le goût des formes définitives, des maximes frappées comme des médailles; aucun peuple n'a fait une plus large consommation de "mots historiques". (Remarquons encore que ces comprimés de pensée sont presque toujours à base d'antithèse; c'est l'antithèse qui leur donne ce caractère tranché. L'antithèse est le fil rouge qui court dans la trame de toute la prose et de toute la poésie française depuis la Renaissance. La clarté est à base d'antithèse: elle procède par dichotomie; c'est un principe de classement, non d'approfondissement). Peut-on prétendre que le français est une langue "statique" et l'allemand une langue "dynamique" ou "phénoméniste"? L'attitude phénoméniste demeure attachée au processus psychologique qui est à la base de la perception et de la désignation des substances, tandis que la tendance statique néglige le devenir des notions substantielles et les fixe dans leur état psychologique définitive. Au lieu de les décrire et de les définir, elle se borne à les étiqueter; de plus, par une exagération de cette vision des choses, les procès eux-mêmes sont conçus comme des fats accomplis et tendent vers l'expression nominale. L'attention portée vers le devenir -- tendance phénoméniste -- se reflète naturellement dans le rôle attribué au verbe et, plus particulièrement, au verbe proprement dit ou conjugué par opposition aux formes dérivées (infinitif, participe, gérondif). En allemand, son importance est énorme, et beaucoup moindre en français, où l'expression verbale recule devant l'emprise croissante du substantif. Dans un grand nombre  de tours syntaxiques, l'allemand est obligé de recourir à des propositions subordonnées conjonctionnelles là où le français se content de formes participiales, gérondives, infinitives. Le français acquiert, par ces tours désinvoltes, une concision nerveuse à laquelle l'allemand ne peut atteindre, mais dont la rançon est l'effacement de l'expression verbale concrète et vécue. ...on pourrait dire que l'allemand fait un sort à chaque idée qui passe, et c'est là  une entrave pour la pratique journalière"/Charles Bally, Linguistique générale et linguistique française. Mais, avec ce "faire (en allemand) un sort à chaque idée qui passe" que la culture allemande s'est faite riche. Et quand "les formes analytiques du langage sont très propres à rendre la pensée aisément compréhensible et à diminuer l'effort du sujet entendant"(Ch.B.), comme c'est le cas en français, c'est qu'elles diminuent l'effort dans la création, et qu'elles font de l'esprit français un esprit "spécieux" (Amiel): "Le français n'est guère fait pour le prolongement de la pensée dans rêve. Il donne aux idées la limpidité du cristal; il leur en impose aussi la rigidité. Il distingue chant, chanson, romance: il y a de tout cela dans le lied allemand, et d'autres choses encore. Le mot Sehnsucht a derrière lui tout un monde de poésie; "nostalgie", avec son arrière-goût hellénique, a bien moins d'intimité que Heimweh: "mal de pays" ne dit rien du tout à la sensibilité; il n'est pas jusqu'à un vocable banal tel que Mädchen qui ne perd de sa fraîcheur en passant en français. Si la poésie vraie, par son indétermination, se rapproche de la musique, la langue française ne fait pas grande chose pour ce rapprochement. "Notre langue allemande", dit M.C.J.Burckhardt dans un article de la Neue Schweizerische Rundschau (mars 1930), "n'est pas une langue lapidaire. Issue de la musique, elle n'a pas cessé de lui appartenir; c'est une musique sans notes, une musique qui s'est déposée dans le concret et l'intelligible. Sa grandeur n'est pas de traduire la pensée en signes infaillibles; non, mais elle enveloppe l'âme de puissances obscures ou brillantes. De secrètes résonances y prennent leur essor et s'envolent sans effort dans la région où les mots perdent leur sens. La langues allemande a au-dessus d'elle toute la musique allemande, comme un ciel sonore qui la borde à l'horizon. La langue française n'a pas de musique au-dessus d'elle. Elle a en elle une musique parcimonieuse, juste ce qu'il faut pour l'orner, sans jamais l'alourdir ni la voiler. Telle qu'elle est, elle embrasse tout ce qui constitue la vie française". La chanson française vaut par les paroles souvent charmantes de grâce, d'esprit, de malice; la mélodie est, en général, pauvre ou vulgaire, et quand le sentiment cherche à s'y introduire, quelle misère! La poésie française, embrassée dans son ensemble, est une poésie d'art; le lyrisme y a toujours été un accident, et, chose caractéristique, le sentiment y prend généralement la forme de l'éloquence. Ce n'est pas par hasard qu'en France la littérature s'est appelée pendant longtemps "éloquence", alors que pour un Allemand toute œuvre littéraire, même en prose, est une Dichtung. En effet, un souffle d'éloquence passe sur toute la littérature française depuis la Renaissance; mais l'éloquence tue la poésie et le rêve. La langue écrite, affinée pendant plusieurs siècles par la cour et l'élite, n'est pas faite non plus pour donner naissance à une poésie naïve et spontanée comme la poésie lyrique allemande. Il suffit de penser au vocabulaire "latin" pour voir qu'une pensée naïve ne peut y trouver son expression. C'est aussi la raison pour laquelle il n'y a pas en France de poésie vraiment populaire. Le moyen âge était sur le point d'en léguer une au monde moderne: la Renaissance a tout bouleversé; dés lors, l'imitation des modèles antiques a ennobli la poésie en l'éloignant du peuple; la poésie populaire se terre dans l'argot ou végète dans la littérature régionale. Rien qui rappelle la délicieuse naïveté d'un lied de Mörike ou d'un conte de Grimm. Aussi n'est-il pas étonnant que la littérature enfantine soit très pauvre en français. Les contes de Perrault sont faites pour des enfants très avertis, et les petits Français le sont terriblement. Quant aux fables de La Fontaine, elles cachent, sous leur apparente bonhomie, un art consommé au service d'un esprit désabusé;  s'il y a un livre qui soit peu fait pour les enfants, c'est bien celui-là."/Ch.B
 "L'expression des phénomènes vitaux (faite par le psychiatre) pâlit en général de la déformation scientifique" (Joseph Fusswerk): "Ceux qui se sont risqués à prendre en psychothérapie des épileptiques ont rencontré toutes sortes de difficultés assez spécifiques. Tout d'abord la lenteur d'idéation qui rend le discours entendu pénible et qui vient paralyser leur propre système de pensée. Moins "universelle" mais fréquemment reconnue chez les épileptiques la lenteur d'idéation peut être un moyen efficace de promotion du non-sens moins brutale que la perte de conscience. Cet engluement de ladite conscience, cette viscosité peut aboutir au même résultat. Il n'est que de souffrir devant la lenteur d'élocution de l'épileptique, de voir notre interlocuteur prendre multiples traverses, dériver sans arrêt, pour mesurer à quel point le mécanisme est puissant. Engluée dans le discours filandreux, abâtardie par de nombreuses restrictions, la représentation qui finit par émerger est bien édulcorée. Elle peut alors apparaître sans danger. Parfois d'ailleurs elle n'apparaît pas du tout, et, bien que l'on aurait pu à plusieurs reprises souffler la fin de son discours au patient, le voici qui tourne court et termine sur une formulation vague et passe-partout. La lenteur d'idéation s'aide de l'usage des "petits mots" tels que: bon, bien, vous voyez, alors, euh, c'est comme ça. Le retour à l'interlocuteur ("vous comprenez") n'est qu'apparent, car il n'est pas permis à celui-ci de finir la phrase; faute de quoi  il sera sanctionné d'un "non, c'est pas ça, c'est…" qui sera suivi d'une phrase interminable le décourageant de comprendre trop vite. Il est bien possible que le "vous comprenez" ne soit pour le patient qu'un moyen de se rassurer en contrôlant que l'on ne comprend vraiment rien. La seule interprétation que l'on puisse faire devient: "Je pense que vous cherchez à m'empêcher de penser." En somme le psychothérapeute se trouve dans une situation nonsense dans la mesure où ni son outil habituel, ni le cadre, ni les référence théoriques, ni même le plus souvent la demande explicite du client ne lui sont d'aucun secours. On pourrait dire que le malade, s'il trouve quelques bénéfice  momentané dans cette conspiration du silence à laquelle il participe, n'entend pas moins des perches. Transformer ces perches en explication serait une erreur, pour l'instant contenons-nous de les prendre pour ce qu'elles apparaissent, c'est-à-dire des petites échappées d'un matériel psychique organisé, émergeant de ce bloc d'inorganisation apparente que paraît être l'épilepsie. Partant de là il n'est loisible que de les énumérer sans prétendre en déduire plus qu'elles ne montrent. Cette prudence est justifiée devant cette maladie "allumeuse" qu'est l'épilepsie, habille à dévoiler un peu de son mystère pour mieux se rétracter, stimulant la réflexion pour la dérouter ensuite". /G.Diebold, T.Maillefaud, H.Beauchesne/Epilepsies, deuils et psychothérapies. /La psychiatrie de l'enfant, Volume XXIX, Fascicule 1, 1986 
"La lenteur de l'idéation et de l'activité est souvent décrite chez l'épileptique adulte. On constate chez lui un effort pour valoriser la lenteur du rythme d'activité, pour se donner un genre d'activité qui nécessite d'aller lentement, de faire longtemps le même travail, de le faire complètement et à fond; "ne pas être dérangé" est une expression que les malades emploient souvent, qui traduit chez eux un désir fondamental et qui reviendra souvent, dans des contextes  divers. La lenteur et la persévération deviennent un processus actif par lequel le malade se défend contre son trouble et qui peut être d'une réelle efficacité. On dit souvent que dans le cerveau épileptique, il y a un déficit de la régulation, de la distribution des masses d'énergies provenant de sources diverses. Les tensions soulevées par les fonctions organiques, par les exigences instinctives, par la nécessité de s'adapter aux stimuli extérieurs, etc., s'accumulent et se déchargent dans les paroxysmes. Quant à la bradypsychie, elle apparaît d'abord comme le reflet même du manque de plasticité de l'activité cérébrale; mais, il y a en autre, un effort actif pour protéger ce rythme personnel contre les décalages brusques provoqués par le contacte avec le monde extérieur. Nous rencontrerons cette dualité dans la plupart des traits caractériels en relation avec la comitialité. Il y a plus: le type de défense dont nous venons de parler se situe à un niveau tout à fait primitif, elle répond à une nécessité biologique. Mais le goût de certains sujets pour les activités méticuleuses et absorbantes répond à de véritables satisfactions affectives: isolement par rapport à un milieu défavorable, désir d'accomplissement personnel, de supériorité. Le comportement bradypsychique et persévérateur devient ainsi valorisé, structuré, source de satisfaction réelle. Il peut être utilisé comme système de défense dans des conflits affectifs divers. La méticulosité dont nous parlons ici se rapproche de celle que l'on rencontre dans les structures obsessionnelles. Mais le comportement des obsédés a un aspect stéréotypé, itératif, agaçant pour le sujet, qu'on ne trouve pas ici.   L'épileptique essaie d'harmoniser sa vie avec ses possibilités et, quand il y arrive, il peut atteindre un équilibre satisfaisant; ceci est rarement le cas chez l'obsédé obligé de conjurer, d'annuler perpétuellement ses pulsions instinctives. ...Chez quelques-uns de nos sujets qui avaient eu des convulsions autrefois, les réactions coléreuses étaient le seul symptôme qui subsiste. Dans un cas, les colères ont été l'unique manifestation d'une épilepsie qui ne fait guère de doute. Dans ce cas, il ne s'agit pas d'une banale réaction coléreuse, même vive, mais d'une brusque décharge pulsionnelle dans laquelle le besoin de possession et de destruction paraissent se confondre, accompagnée d'une obnubilation de conscience. Ces désinhibitions soudaines des pulsions ne se présentent plus comme des réactions à un stimulus extérieur; ce sont des enclaves isolées dans le comportement. ...Rêve éveillé. Ce symptôme est très important dans la psychologie de certains épileptiques; des sujets qui paraissent lourds et obtus, prennent un aspect tout différent quand on entre en contacte avec leur activité imaginative qui peut être extrêmement riche. Nous retrouvons ici des constatations auxquelles nous avions abouti à propos de la bradypsychie, et d'ailleurs, il y a des traits communs entre la tendance à aller lentement, à se confiner dans une activité unique et continue et celle à se détacher du réel pour s'absorber dans la rêverie. Tout comme la lenteur d'activité et d'idéation, le repliement sur soi-même de certains de nos sujets est tout d'abord une conséquence directe du truble cérébral: c'est la diminution de la vigilance qui rend le sujet relativement inapte à s'adapter au milieu ambiant, c'est-à-dire surtout aux décalages d'activité qu'exige la réadaptation continuelle à la réalité mouvante. Il y a ensuite l'effort actif pour élever une barrière d'isolement entre soi et le monde, pour se construire un mode d'existence qui réduise au minimum les contacts avec le milieu ambiant, parce que ceux-ci soulèvent une tension qui s'accumule sans possibilité de décharge; le dynamisme affectif se détourne du monde et cherche des compensations dans la surestimation du Moi, qui s'expriment dans des rêveries de grandeur et de supériorité imaginaires. Un effort parallèle s'effectue pour rétablir une certaine harmonie dans la vie psychique intime par la valorisation de l'imaginaire, pour maîtriser des phénomènes psychiques étranges qui sont une menace pour l'intégrité du Moi. Un premier fait remarquable est la distinction à faire dans les prodromes annonçant la crise, entre les symptômes subjectifs réellement vécus et la puissante élaboration imaginative que le sujet construit auteur d'eux. Celle-ci a naturellement pour but de familiariser le malade avec la crise, de créer une sorte de complicité entre lui et l'accès et ainsi d'atténuer l'angoisse suscitée par la perspective de ce phénomène qu'il faut subir. Mais, de cette façon, les crises finissent par tenir une place énorme dans la vie affective du malade, ses tendances profondes s'y expriment comme elles le font aussi dans le fugues semi-crépusculaires. Le fait saillant, dans ces réactions diverses, est que l'activité est toujours aimantée, accrochée à un objet, que le sujet ne tolère pas de vide ni de disponibilité, source de brusques changements. On doit insister sur l'énorme énergie que certains sujets emploient à essayer de réintégrer leur vie psychique. Ils utilisent, d'une part, la valorisation de l'imaginaire, pour jeter un pont entre l'activité consciente et les phénomènes psychiques étranges des paroxysmes; dans d'autres cas, c'est la valorisation de la volonté, le sentiment illusoire de lutte contre les troubles, d'arriver à les brider par l'effort volontaire. Cette lutte sourde et opiniâtre pour défendre l'intégrité du Moi contre les phénomènes dissolvants qui le menacent, joue un rôle très important dans la vie des comitiaux"./ H. Sauguet et R. Delaveleye, Les comportements psychologiques des enfants et des adolescents épileptiques. /La psychiatrie de l'enfant, Vol. I, Fasc. 2, 1958 
 

 


  



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